POV :)

" Entre 8 et 10 millions d’Indiens vont entrer tous les ans sur le marché du travail au cours des dix prochaines années ; l’économie du pays va donc devoir créer près d’un million d’emplois par mois jusqu’en 2025." Source https://data.worldbank.org/country/india

lundi 23 mai 2016

Le viol, moellon de la société.

Je pense aux films de Cassavetes en ce moment. C'est ça les œuvres géniales. Comètes arrivées de nulle part, elles tombent dans votre eau intérieure, elles y coulent doucement sans que vous y prêtiez attention. Au fil des années, elles atteignent les couches de vase de la mémoire,  s'y enlisent et deviennent partie de vous.

Non sans avoir au passage réorganisé les choses, vous permettant ainsi de vous situer par rapport à d'autres.

J'ai ressenti la violence de tuer l'enfant en nous, en lisant cet cet article, et l'épisode de la traversée du fleuve par la jument dans As I lay dying. s'est mis à résonner. Meurtre de l'enfance de la jeune fille à travers son viol, mort de la mère, spectatrice des chevauchées de son fils, et son mari qui ne comprend rien. Ils ne comprennent jamais rien d'ailleurs, ils exécutent et ils subissent.

Et là-dessus, on me dit la phrase" Ils ne viendront qu'aussi longtemps que tu voudras qu'ils viennent  ". Il s'agit d'amis très chers, qui doivent venir à la maison, mais leur séjour me pose un problème, me procure une sorte de  mal à l'aise que j'ai reconnu chez les personnages joués par Gena Rowlands, par exemple en femme de maçon qui reçoit les collègues de son mari.

Cette phrase fut émise par mon interlocutrice sur le mode assertif, et elle tomba en moi sur la demande d'approbation qu'elle contient comme une scission, comme la pluie  sur la montagne, qui se sépare le long de la crête, vers un versant, ou bien l'autre, mais ne saurait relever d'un seul " je " qui ne peut pas exister dans cette égalité.

Il n'y a pas un seul je qui pourrait se tenir à cette place pour évaluer la véracité de cette proposition.

Car cette ligne de crête est trop fine, elle n'est pas un espace. Il n'y a pas d'espace d'intersection entre deux espaces séparés et inconciliables entre deux " je ", qui ne peuvent pas coexister en un seul. Inutile de pousser les hauts cris. N'y voient une dissociation que ceux qui seraient victimes par l'illusion de leur unité.
Chacun de nous est un puzzle, mais seuls les aveugles qui se détournent du problème accusent ceux qui ont le courage de le mettre en pleine lumière d'être " dissociés".

Il ne s'agit pas de trépigner en disant que les autres je composent l'enfer que je suis, mais de faire face courageusement à cette empoignade. Je préfère être arbitre dans la mêlée que prétendre que tout va bien.

Le conflit qui veut que le " je " qui a un programme de travail jusqu'au plafond, et à qui les discussions oiseuses semblent un loisir de rentier, s'oppose cet autre " je " qui voudrait qu'ils viennent tout le temps, et surtout autant de temps qu'il serait nécessaire pour qu'ils soient heureux, n'est qu'une des lignes de fracture de la grande faille qui nous sépare du monde. Ces deux moments, l'un nul en extension, et l'autre étirable à l'infini, ne peuvent se concilier. Je n'ai pas de limite à imposer à leur désir, et pas une minute à y sacrifier.
Je ne voudrais pas être la cause de l'ombre d'un chagrin qui planerait sur leur vie, et je donnerais beaucoup pour qu'ils trouvassent ailleurs une chose que, paraît-il je suis seul à pouvoir leur apporter.

Je connais la source de cette carence. Elle réside dans le rapport à " l'affection". Rapport qui me fut très tôt rendu problématique, pour une raison simple, de n'avoir pas appris les outils pour gérer l'engagement dans l'autre que ce sentiment implique.

Mais encore une fois, ce serait admettre qu'il est loisible de parcourir cet espace au dessus de la faille, de s'y tenir de façon continue. Si la faille est petite, la station, pour être pénible, peut avoir des apparences de stabilité. Plus la faille est grande, plus le sujet devra sauter d'un bord à l'autre, mettant à l'épreuve les outils dont il dispose pour joindre les deux bords.

Une partie de moi ne peut se satisfaire d'un risque que fait courir la possible extension, car si petite soit-elle, elle prend dans sa liberté donnée ce risque de grandir, et l'autre je ne peut se satisfaire que dans l'infinie extension du possible du désir de l'autre. S'ils voulaient me voir longtemps, si pour leur faire plaisir il fallait les voir longtemps, je ne pourrais me résoudre à leur faire la peine de tailler dans leur plaisir, de leur enlever ce plaisir, de leur faire de la peine. Il vaut mieux couper tout de suite que de devoir tailler dans ce qui sera plus grand, plus vivant, plus plein de sang, le massacre n'en sera que plus grand.

Les deux " je " se respectent, se tiennent également droits l'un devant l'autre, faisant également droit à leurs prétentions, symbole de respect. Elle n'est en fait que la marque respect immense d'une partie de soi à l'autre, de la volonté qu'aucune des parties ne prenne droit sur l'autre par la force, qu'aucune des parties ne viole l'autre. 

Je pense à cela, c'est dire, depuis ce beau titre de Copi, Du côté des violés. Il faut comprendre que le viol est avant tout un état d'esprit, un rapport psychique entrer le violeur et sa victime. La victime est sidérée, puis clivée mentalement, par la violence de la pensée du violeur. Le coup de hache fatal est dans la tête, autant que dans le corps.

Et une partie de celles et ceux qui sont accusés de sensibilité exagérée sont des personnes qui ont été violées au quotidien par les autres, mentalement, et qui développent les mêmes réflexes que les victimes de viols sexuels.

Ils développent ces réflexes car lorsque le crime est de pensée, on est à l'abri nulle part. Si une femme violée de nuit dans un parking souterrain refuse par la suite de se garer ailleurs qu'en surface, tout le monde comprendra. Tout le monde admettra que tout ce qui peut lui rappeler le viol, tout ce qui peut y ressembler même de loin, est insupportable. C'est ça, la métonymie.

Et la voilà, la frontière, qui fait traiter la victime de malade, par sa sensibilité excessive, quand il ne s'agit plus de viol physique, mais mental. Pourquoi ? Parce que c'est la même idéologie qui est à l’œuvre.

Si une personne se plaint de viol, et qu'on lui répond" ce n'est pas grave, ce que tu subis, donc on va recommencer", on imagine aisément que la personne va s'éloigner de tout ce qui peut ressembler à un persécuteur, même de loin, parce qu'elle a compris qu'il est dans le déni de sa violence, et qu'il peut recommencer n'importe quand. Même de loin, il est dangereux. Il faut donc rester sur le qui-vive, pour s'enfuir au moindre signe d'alerte.

Un signe qui conduit la victime à penser que l'agresseur n'a toujours pas compris que la notion de viol ne réside pas dans l'opinion du violeur, mais dans la souffrance de la victime. Tant qu'on aura pas compris que l'odeur de moisi de ses raisonnements n'a aucun droit face à ce qu'elle légitime comme souffrance, la société pourra prospérer sur le viol, installée dans l'opinion du violeur et de son échelle de bourreau.

Par exemple, imaginons une victime de violence qui vient se plaindre qu'on lui a crevé un oeil, et s'entend répondre : " Pas du tout, vous n'êtes pas du tout victime de violence, vous êtes prise en compte, et vos opinions sont tout à fait entendues, la preuve, l'agresseur aurait voulu vous crever les deux yeux, mais pour tenir compte de votre avis, il s'est limité à ne vous crever qu'un œil".

La victime va se dire " D'accord, ces tarés n'ont rien compris, ils évaluent le crime à l'échelle de l'assassin, la seule solution est de se tenir sur ses gardes, et au moindre signe suspect, filer. Et en tout état de cause, organiser entre eux et moi la plus grande distance possible".

C'est ce qui explique le retrait psychique des personnes incriminées, ainsi que leur apparente " binarité". Le retrait, c'est que vous avez violé ces personnes quotidiennement depuis leur enfance, en opposant à leur souffrances des raisonnements moisis, qui ne tiennent pas la route, qui ne font que légitimer la violence, et par dessus le marché, souvent moralisants.

Le retrait c'est parce qu'une telle imbécilité étant radicalement impossible to deal with, la solution est la fuite.

Quand à la binarité, c'est celle de l'oiseau ou de la biche. Lorsqu'il y a un bruit suspect, pas le temps d'analyser la situation en finesse, c'est trop risqué, l'imbécile n'est pas installé dans le raisonnement qui fait qu'on pourrait savoir si le prédateur s'est décidé à se faire soigner, mais vautré dans la morale du plus fort, donc on fuit, d'aussi loin qu'on entend l'imbécile faire bruire la broussaille.

Voilà, vu depuis le côté des violés, ce que vous appelez " pathologique". C'est l'effroi de l'intelligence offensée par les préparatifs du sacrifice, la victime voyant s'affairer à l'autel les puissants et les fourbes, et se doutant qu'elle va encore faire les frais de l'organisation de leur société.

Nous sommes toutes des Iphigénie.

Mais il faut bien qu'il en soit ainsi. Imaginez un instant le contraire.

Si le viol était condamné, réellement, si la victime " fait ce qu'elle veut", alors quand peut-on espérer qu'elle va faire ce qu'on veut, ce qui est bien le principe fondateur de la société : que l'individu abdique de sa volonté individuelle pour se soumettre à l'autre, incarné par les représentants de l'autorité, ce qui ne fait qu'aggraver le viol, mais non le constituer.
Et encore, ce n'est une circonstance aggravante que pour les enfants. Pour les autres, on admet qu'ils n'ont qu'à subir et la fermer. A ce titre, ce que nous considérons comme les horreurs des femmes violées par les militaires et les dignitaires du régime d'Hissène Habré, par exemple, femmes choisies dans les tribus contestataires, n'est que l'exagération du phénomène.

S'il avait fallu attendre qu'elle veuille bien, se dit le tortionnaire, on en serait toujours au même point. Et puis cela terrorise la tribu contestataire. C'est donc bien un projet de société qui est autour du viol. Le viol est la pierre angulaire de la société.

Mes amis, même les plus chers, ont du mal à imaginer que parfois, au bout de quelques jours de leur présence, leur conversation m'ennuie; Comme ils ne savent pas détecter cette limite, ils vont régulièrement au-delà, m'amenant toujours finalement à souhaiter leur départ, pour mettre fin au supplice. En espérant qu'un jour, pour m'éviter de m'ouvrir en deux dans cette violence tue, une âme charitable me dise le matin " Aimeriez-vous avoir notre compagnie plus longtemps", me permettant de répondre un " I'd prefer not to", moins blessant.
Mais non, jamais. Il faudra toujours que ce soit moi, au bord du suicide, de l'immolation par le feu, finisse par les pousser doucement vers la sortie, passant pour une asociale, tout ce qu'on veut, alors que je suis juste arrivée à la fin de mes capacités à supporter la souffrance de leur bêtise.

La misère, mais pourvu qu'ils se taisent
 Joindre les deux bords, joindre les deux bouts. Dans ce combat pour maintenir serrées les lèvres d'une souffrance de plus en plus grande, et d'autant plus indicible, entre deux attitudes inconciliables, se positionner dans la précarité économique et sociale peut être une mesure pour faciliter les choses.

On pourrait trouver cela étonnant, mais à y bien réfléchir, le seul avantage d'être SDF, c'est de ne plus avoir à parler à personne. C'est à peu près le seul moyen dans cette société pour avoir la paix, lorsque, ce qui est inimaginable, on n'est pas charmé par la conversation des autres. On ferait tout pour ne pas les entendre, tant leur conversation est un supplice qui distord le monde sous la souffrance.

Ne vous sentez pas trop visés personnellement par ce que je viens d'écrire. C'est pire que cela. Ce discours que je ne peux plus entendre, ce n'est pas le vôtre. C'est celui de l'idéologie dominante, que vous véhiculez inconsciemment.
Heureusement que c'est inconscient d'ailleurs.Si vous vous entendiez bruire des ragots médiatiques dont vous répéter les formules figées, vous seriez effrayés. Si surgissait dans votre pensée " dans la mesure où", ce que vous dites et faites sert à quelque chose, les hôpitaux seraient pleins du jour au lendemain.

Ils se remplissent d'ailleurs sûrement mais lentement. Si on regarde bien, le nombrer de gens en malaise avec leur vie augmente, si on additionne les dépressions, addictions, problèmes comportementaux des jeunes, des vieux...

Ce dont la société nous demande donc de nous castrer dès l'enfance, ce sont des parties les plus nobles et les plus nécessaires au progrès de l'humanité. Et tout cela pour rassurer une petite caste de dominateurs qu'ils pourront se vider les bourses en paix. Il ne faut pas troubler cette paix, il faut laisser l'imbécile dans la certitude que la violée y a pris du plaisir.

Je cite Dide citant un dialogue de magistrats " Si nous condamnons trop fermement l'infanticide, nous ne trouverons plus de servante pour nos menus plaisirs".

Revoilà l'enfant qu'il faut tuer, pour que les exploiteurs puissent baiser leurs esclaves au sens propre aussi bien qu'au figuré.

Vous me violez, tous les jours depuis mon enfance, par votre présence, parce qu'il me faut supporter le poids écrasant de la vulgarité qui m'étouffe, il me faut laisser couler en moi le sperme de vos potins, que vous imaginez si impatiemment attendu pour me féconder, il me faut supporter tous les jours vos ahanements de plaisir à nos échanges, persuadés qu'on peu prendre du plaisir à des visées aussi minables, tandis que je me demande comment une telle imbécillité ne vous dévaste pas de l'intérieur.

Vous me violez parce que vous déversez dans mes oreilles une pensée sale. Et votre pensée est sale parce  que vous manquez d'hygiène mentale. Par paresse, vous ne nettoyez pas votre pensée des restes de repas et autres insanités que les conversations oiseuses y laissent. Elle finit par en être encombrée, de  ces tautologies, de ces pensées en boucles, de ces raisonnements moisis qui pourrissent dans vos mécanismes mentaux, qui mes asphyxient peu à peu. Ouvrez les fenêtres, faites de la gym, apprenez à penser en élongations, en grand écart, à vastes foulées, faites quelque chose !

D'une personne dont les propos me feraient jouir j'attends l'arrivée comme d'une bouffée d'air, asphyxiée en coma dépassé. Je n'en trouve guère que dans les films, ou les livres de Cassavetes. 

Vous me violez tous les jours depuis mon enfance en me demandant de " bien le prendre ", parce qu'il faut prendre la vie du bon côté, tandis que je me demande quelle bête pourrait vous prendre pour vous donner l'impression que me procure cette abdication de toute humanité, qui vous cloue dans votre servitude.

Il faut s'estimer contente de vivre dans un monde de chiens en chaleur quand il se passe une journée où ils n'ont pas eu le temps de vous violer parce qu'ils étaient trop occupés à s'amuser à tuer des animaux ou à détruire la planète, perchés sur la jeep avec leurs potes, voir s'il resterait un truc à tuer ou à terroriser avec le fusil qu'ils ont eu pour Noël.

Des crétins comme vous, paradant sur le capot, fiers de leur joujou meurtrier comme un gamin de cinq ans de sa bite sur son cheval de bois, la planète en est infestée. Vous êtes des millions et des millions, comme disait Zappa, à vous persuader que la bonne cause du moment va vous permettre de menacer la vie d'un maximum de monde pour donner un peu d'air à votre vie de minable.

Vous justifiez votre passivité par le seul fait que vous êtes " adaptés " à la société, et moi exclue. Mais vous êtes adaptés comme un costume qui s'est fait tailler sur mesure, qui s'est fait castrer pour " bien aller". Votre tirez toute gloire de " faire ce qu'on vous dit", tout fiers d'avoir obéi comme un gamin qui n'a pas crayonné hors du modèle. Il a " réussi" à rester dans le cadre comme vous avez " réussi " dans votre situation et votre vie.
Vous avez réussi à obéir, c'est tout. C'est là dessus qu'on vous a triés, sélectionnés, depuis l'école et l'enfance, comme des bestiaux qui ont donné leur lait, pour avoir leur ration de granulés. Et pour cela vous avez abandonné le meilleur d vous même, votre créativité, votre souveraineté, votre liberté.

Bien sûr que toute société est basée sur des compromis, et une part de renoncement est nécessaire. A quoi je mesure votre servitude, c'est à la liberté que j'ai conquise par ma misère, celle de chevaucher longuement vos tribunes, de vous écouter partout, et de n'entendre toujours que les mêmes choses.
Je sais que le discours des siècles évoluent comme les espèces, les arbres, les rochers. Nous sommes dans la nature, et pour une part, nous ne changeons pas plus vite qu'elle.
Mais pour ce qui est d'une part de notre humanité, vous êtes en esclavage. Et dans vos fers, vous ne réalisez plus que ne pas progresser, c'est régresser. Et que la seule solution pour progresser, c'est mettre en oeuvre notre part créative.

Et ne me parlez pas des petits génies de l'électronique où l'on cherche le Messie comme on cherchait le petit Bouddha, comme si la matière allait sauver l'esprit. A force de manquer l'essentiel dans nos manœuvres, nous nous en éloignons de plus en plus.

Bref, je ne vais pas crier dans le vacarme, ce n'est pas mon genre, alors bonne nuit, et vae victis.

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